Jean-Philippe Cazier Deleuze, Foucault et la littérature
On the Mediapart site 06 mars 2013
Lire une œuvre ne consiste pas à lui appliquer une grille théorique, à la placer dans des cadres conceptuels a priori, à expliquer ce que l’auteur a voulu dire mais sans le dire, à extraire de l’œuvre une signification enfin claire et articulée : « l’œuvre tient à distance toute interprétation extrinsèque » (Critique et clinique, p.71). Lire une œuvre ne peut se résumer à en faire le support d’un commentaire philosophique ou d’une herméneutique, puisque ces approches reposent sur un faux rapport excluant la singularité de l’œuvre littéraire. Pour Foucault et Deleuze, la littérature est en elle-même une pensée qui ne se distingue pas de sa forme, de sa pratique, qui dit dans un langage qui lui est propre ce qu’elle a à dire, sans nécessiter de traduction. De même, l’écrivain n’a pas besoin du philosophe pour penser la littérature, pour réfléchir à sa propre pratique.
Dans ces conditions, quel peut être le rapport de la philosophie à la littérature ? Pour Deleuze et Foucault, ce rapport maintient celle-ci dans sa singularité et son originalité, puisqu’il nécessite cette singularité. Si Deleuze et Foucault prennent réellement la littérature au sérieux c’est d’abord parce qu’ils y reconnaissent une pensée singulière, autonome, mais c’est aussi parce qu’ils la considèrent comme une affaire sérieuse pour la philosophie elle-même : la philosophie a quelque chose à faire avec la littérature, quelque chose qui concerne immédiatement la pensée philosophique. Il y aurait là un paradoxe (pour la doxa philosophique) : la philosophie, en un sens, aurait besoin de la littérature.