Le racisme comme technologie de pouvoir
26 février 2013 par Alain Brossat
Plutôt que tenter de résumer mon livre, Autochtone imaginaire, étranger imaginé Retours sur la xénophobie ambiante, ce qui est évidemment l’exercice le plus douteux qui soit (ce qui se résume aisément ne vaut généralement pas grand chose), je vais m’essayer à en redéployer le motif central en repartant d’un des deux auteurs qui y occupent la place des saints patrons – Foucault (l’autre étant Benjamin).
Dans le cours du 17 mars 1976 (« Il faut défendre la société »), Foucault propose un développement tout à fait lumineux sur ce qu’il appelle « le racisme », sur sa fonction dans l’exercice des pouvoirs modernes. Il se pose une question toute simple : comment un pouvoir dont l’objet et l’objectif premier et dernier est « la vie », l’entretien de la vie des populations, la majoration, l’optimisation, la multiplication des chances de « la vie », comment un tel pouvoir peut-il se manifester encore en tuant, en réclamant la mort, en l’administrant, en exposant à la mort non seulement ses ennemis, mais aussi ses propres citoyens ou ressortissants ? Jusqu’ici, je paraphrase Foucault, mais maintenant, je vais le citer : « Comment peut-il laisser mourir, ce pouvoir qui a essentiellement pour objectif de faire vivre ? Comment exercer le pouvoir de la mort, comment exercer la fonction de la mort, dans un système politique centré sur le bio-pouvoir ? » – c’est-à-dire en rupture distincte avec le vieux régime de souveraineté, régime immémorial, dans lequel, pour Foucault, la puissance du souverain se manifeste en premier lieu par sa capacité de faire mourir ? Eh bien, dit Foucault, « c’est là (…) qu’intervient le racisme ». Bien sûr, précise-t-il tout de suite, le racisme (concept un peu « porte-manteau » ou « valise », en l’occurrence, mais peu importe), ne date pas d’hier et n’est pas l’invention des pouvoirs modernes. « Il existait depuis bien longtemps », note-t-il. Mais ce qui est nouveau, dans nos sociétés, c’est la façon dont il est entré dans les mécanismes de l’Etat dès lors qu’a émergé le bio-pouvoir. Il est, dans les sociétés modernes (les nôtres, du moins, en Occident), coextensif à l’exercice du pouvoir dont il est, dit Foucault, un « mécanisme fondamental ».